Calibre 38
« C’est un 38 que tu as, hein ? a dit Pilon.
— Comment t’as deviné ?
— Quand on te connaît, c’est pas difficile.
— Qu’est-ce que je vais faire ? je lui dis.
— Pourquoi tu ne cherches pas du boulot ? dit Pilon. Il y a des tas de gens qui travaillent. C’est pas comme la lèpre, tu sais.
— Mais j’ai un client, je te dis. Un vrai.
— Il t’est déjà arrivé d’avoir des clients et il t’est déjà arrivé aussi de te faire virer. Regarde les choses en face, mon vieux. Tu ne vaux pas un clou comme privé. Si ma femme me trompait, j’engagerais Donald Duck pour qu’il me dise avec qui elle fait ça plutôt que de te le demander à toi ; et encore, je ne suis pas marié. Pourquoi tu t’achètes pas des balles pour ta connerie de pétard ?
— Je n’ai pas d’argent, dis-je.
— Même pas de quoi acheter des balles ? Enfin, quoi, merde, ça coûte un dollar, par là.
— Je traverse une période difficile, dis-je.
— J’ai l’impression que la seule bonne période que je t’ai connue, c’est quand tu t’es fait renverser par une auto l’année dernière, dit Pilon. Et pourtant, je t’assure qu’il y a des gens pour qui la veine ça ne consiste pas à se faire renverser par une voiture et à se faire casser les deux jambes.
— Qu’est-ce que je vais faire ? »
Pilon a hoché la tête avec un sourire douloureux.
Il a ouvert le tiroir de son bureau, sorti son revolver et me l’a tendu.
« Si jamais un gonze revient à la vie et m’étrangle pendant que j’essaie de le débarbouiller, bordel de merde, ce sera de ta faute, et je reviendrai pour te hanter. Tu n’auras jamais plus une seule nuit de sommeil potable. Je viendrai te faire des trucs dans le cul avec mon grand drap. Tu le regretteras. »
J’ai mis le pistolet dans la poche de veste qui n’en contenait pas encore.
« Merci beaucoup, Pilon, j’ai dit. T’es un vrai pote.
— Tu n’es qu’un raté de merde, dit Pilon. Je veux voir ce pistolet ici demain matin, tu m’entends ?
— Merci », dis-je. Je me faisais l’effet d’un vrai privé avec un pistolet chargé dans ma poche. Pas de doute, ma chance tournait. Je remontais la pente.